Le professeur entra en salle, posa ses notes sur le bureau, et déclara :
« Aujourd’hui, nous allons parler du Minotaure.
Ou plutôt... de l’absence totale de Minotaure. »
Quelques étudiants relevèrent la tête.
« Le mythe que vous connaissez : un monstre né d’une reine, enfermé dans un labyrinthe, tué par un héros athénien, est une construction. Une belle propagande. Et comme toute bonne propagande, elle brouille à peine une réalité beaucoup plus simple : un conflit politique. »
Il écrivit MINOS au tableau.
« Minos, donc. Dans les mythes, un tyran. Dans les faits, probablement un père inquiet.
La tradition crétoise exigeait que son premier fils soit offert aux dieux. Oui, oui, un sacrifice humain. Et Minos a refusé. Pas par faiblesse, mais par lucidité. Il aimait son enfant, et surtout il ne croyait plus à ce genre de rite archaïque. »
Il se tourna vers l’amphi.
« Maintenant, imaginez la réaction des cités voisines. Dans une société où tout le monde croit que le sacrifice maintient l’ordre du monde, le refus de Minos, c’est un blasphème. Une menace métaphysique. Athènes va être la plus outrée. Et quand le fils aîné de Minos, Androgée, part participer aux olympiades, il meurt. Officiellement : il aurait triché. Officieusement : on retrouve un corps tabassé dans une ruelle. C’est un message. »
Le professeur laissa quelques secondes de silence.
« Minos comprend. Il a perdu un fils. Il ne perdra pas le second.
Astérios, garçon calme, studieux, adorable paraît-il, est caché dans les profondeurs du palais. Et arrêtez d’imaginer un labyrinthe géant : c’était probablement un ensemble de pièces étroites, sombres, où l’on rangeait des archives. Pas très glamour, mais très solide, et surtout : très discret. »
Il fit un geste sec.
« Mais Athènes n’est pas satisfaite. Minos refuse toujours le rituel ? Alors on fabrique un mythe. On invente un monstre. Un enfant né du roi et d’une bête. Un danger public que Minos cache.
Et là, écoutez bien, le mécanisme classique de la propagande se met en route :
On dénonce. On effraie. On justifie l’intervention. »
Il écrit MINOTAURE = justification.
« L’assassin envoyé pour “sauver la Crète” ? Thésée. Oui, le héros. Le modèle civique. La statue athénienne. En réalité, c’est un tueur mandaté. Rien de plus. »
Un étudiant leva la main : « Et Ariane ? »
Le professeur sourit.
« Très bonne question. Ariane n’est pas la traîtresse romantique des versions tardives. C’est une prêtresse formée à la tradition du sacrifice. Elle croit aux dieux, aux rites, à l’ordre ancien.
Pour elle, son père Minos a rompu l’équilibre.
Alors quand Thésée arrive avec une explication religieuse parfaite : “je suis envoyé pour tuer le monstre”, elle l'aide. Elle lui indique la pièce où son frère est caché. Avec une torche, un fil, toutes les précautions rituelles. Elle pense aider la Crète, pas condamner sa famille. »
Il baissa un peu la voix.
« Ce que Thésée trouve derrière la porte, ce n’est pas un monstre.
C’est un adolescent du nom Astérios.
Il n’y a pas de combat.
Pas de rugissements.
Seulement un souffle court et puis plus rien. »
Le silence tomba dans la salle.
« Ariane comprend trop tard l’horreur. Minos, fou de douleur, ne veut plus entendre aucune explication. Les prêtres parlent de punition divine. Athènes parle de victoire. Ariane n’a plus sa place nulle part. Elle suit Thésée pour survivre. »
Le professeur se tourna vers les étudiants, l’air presque navré.
« Dans les versions officielles, Thésée est un héros chevaleresque.
Mais dans les récits les plus anciens, il abandonne Ariane sur une île. Pas de discours. Pas d’adieux. Il la laisse là pour une raison simple : elle est devenue un témoin gênant. »
Il conclut en posant la craie.
« Ce qui reste, dans cette histoire, ce n’est pas un monstre.
Ce sont des hommes effrayés, des cités superstitieuses, des décisions politiques maquillées en mythes. On a inventé un monstre pour rendre acceptable un meurtre.
Et des siècles plus tard, on continue de parler du Minotaure,
alors qu’il n’y a jamais eu que des humains. D'ailleurs nous continuons encore aujourd'hui à diaboliser nos ennemis. »
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