Le professeur Allan se pencha vers son ami, comme s’il allait dévoiler la pièce maîtresse de sa théorie.
« Je peux aller plus loin. Je peux résoudre le mythe des dieux olympiens. Et tu vas voir, ce n’est pas aussi farfelu que ça en a l’air. »
Il sourit, sûr de son effet.
« On est d’accord: les dieux grecs n’existent pas en tant qu’êtres surnaturels. Mais ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas existé. La question, c’est: qu’était un dieu pour les Anciens? Une entité supérieure à l’homme ordinaire. Pas forcément immortelle. Pas forcément magique. Simplement supérieure. »
Il joignit les mains.
« Alors pose-toi la vraie question: sur notre planète, qu’est-ce qui peut être considéré comme supérieur à un homme ? Pas plus fort. Pas plus intelligent. Supérieur dans le sens où il effraie, domine et impose des règles. Nous, humains, nous dominons le règne animal parce que nous sommes au sommet de la chaîne alimentaire. Qui domine l’homme, si ce n’est… l’homme lui-même ? »
Son ami fronça les sourcils. Le professeur continua.
« Nous avons déjà établi que des groupes de femmes marginalisées ont existé : Amazones, Sirènes. Pourquoi n’y aurait-il pas eu aussi des groupes d’hommes vivant à part, avec leurs propres coutumes ? J’avance l’hypothèse suivante : en Grèce, un clan de cannibales a existé. Pas des monstres. Des humains. Mais des humains qui mangeaient d’autres humains. »
Il leva un doigt.
« Et c’est suffisant pour créer un décalage énorme. En mangeant des hommes, ils s’installaient symboliquement au-dessus des autres. Une forme de supériorité morbide. Les villages alentours les craignaient à un point tel qu’ils finissaient par leur donner des victimes en sacrifices. Par peur. Par habitude. Par tabou. »
Il marqua une pause.
« Les poètes ont recouvert tout ça de mythes. On a changé ces cannibales en dieux immortels. On a remplacé les cris par des hymnes. On a transformé le rituel en légende. Le clan est devenu l’Olympe. Leur violence, de la volonté divine. Leurs repas, des banquets sacrés. »
Le professeur se redressa.
« Les dieux olympiens n’auraient donc rien d’immatériel. Ils seraient la mémoire cryptée d’un cannibalisme organisé. Leur “divinité” vient de trois pierres angulaires: la peur, le pouvoir et le tabou alimentaire. Les hommes redoutaient ces êtres qui mangeaient les leurs. Alors, pour survivre, ils les ont sacralisés. Voilà, selon moi, le vrai cœur du mythe. »
Il conclut calmement:
« Un dieu n’est pas forcément un être céleste. C’est parfois juste un homme qu’on n’a jamais osé regarder en face. »
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