Le jeune professeur Allan s’assit face à son ami, les yeux brillants.
« Je vais te parler des Amazones, et en passant je vais régler la question des Sirènes. Les deux mythes racontent presque la même histoire, mais personne ne veut l’admettre. »
Il prit une grande inspiration.
« Dans un monde dirigé par les hommes, certains peuples poussaient la domination à l’extrême. Les Scythes en sont un bon exemple. Là-dedans, des femmes courageuses ont fini par briser leurs chaînes. Elles ont fui. Certaines sont parties vers le nord de la mer Noire, d’autres ont gagné les îles de la Grèce. Elles voulaient vivre entre femmes, loin des maîtres, loin des coups, loin des mariages forcés. »
Il posa ses mains sur la table.
« Pour survivre, elles sont devenues des guerrières. Elles menaient des raids sur les côtes parce qu’elles n’avaient pas le choix. Un monde sans pitié force à l’efficacité. Ces femmes libres ont fini par être appelées Amazones. Et comme elles gênaient, on les a changées en monstres. On a raconté qu’elles se coupaient un sein. Qu’elles étaient inhumaines. Ainsi, les héros pouvaient les tuer sans que personne ne doute du bien-fondé du massacre. »
Il marqua une pause avant de reprendre.
« Pour les Sirènes, c’est la même mécanique. Un autre groupe de femmes martyrisées a fui des hommes violents et s’est installé sur des îles rocheuses comme les Sirenuses, près de Naples. Elles ne pouvaient pas combattre comme les Amazones, alors elles ont pris une autre voie. Elles chantaient, jouaient de la lyre, dansaient nues sur les plages pour attirer les marins perdus. C’était un piège pour survivre. Pas une séduction mystique. Elles tuaient ceux qui accostaient et pillaient les bateaux. »
Le professeur se redressa.
« Les sociétés anciennes ont alors appliqué le même procédé à ces deux peuples de femmes. Elles avaient refusé le joug. Elles étaient devenues une menace. Alors on les a réécrites. On a changé les Amazones en bêtes au corps mutilé. On a changé les Sirènes en créatures mi-femme mi-oiseau dont la voix perdait les hommes. Une fois déformées, elles pouvaient être anéanties par Héraclès, Ulysse ou n’importe quel autre héros. Sans aucune remise en cause. »
Il tapa doucement du doigt sur le bureau.
« Elles avaient fui. Elles avaient survécu. Et les hommes ont répondu :
Elles n’étaient pas humaines.
Elles chantaient. Elles coupaient leur sein.
Nous les avons vaincues. »
Un silence tomba.
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