Le professeur se posta devant l’amphithéâtre, les mains derrière le dos, et un sourire trop calme pour annoncer un sujet anodin.
« Aujourd’hui, mesdames et messieurs, nous allons parler d’un aspect méconnu et très européen de l’histoire médicale : le cannibalisme médicinal. Oui, vous avez bien entendu. Vos ancêtres éclairés, vos rois, vos médecins, vos prêtres... mangeaient de l’humain pour se soigner. »
Quelques rires nerveux fusèrent. Il poursuivit, imperturbable.
« Commençons par la mumie, ce remède très prisé. À l’origine, c’était un simple bitume persan utilisé dans la momification égyptienne. Un produit minéral. Mais au Moyen Âge, une confusion linguistique a fait dévier le sens du mot et les Européens se sont mis à broyer de véritables momies en poudre. Oui, vraiment. »
Il fit quelques pas, les mains ouvertes.
« Le cannibalisme médicinal existe déjà dans l’Antiquité. Galien, au IIᵉ siècle, recommandait l’usage de chair humaine pour soigner les plaies. Mais c’est à partir du XIIᵉ siècle que tout s’accélère. Avec l’importation massive de mumia, les marchands arabes et vénitiens pillent les tombes égyptiennes. Car en Europe, apothicaires, nobles et religieux en raffolent. On en trouve dans les pharmacies de Londres, de Paris, de Venise. »
Une main se leva dans le fond.
« Oui, vous avez une question ? »
- Monsieur, quel fut le pic de popularité du phénomène ?
« Excellente question. Le sommet, c’est le XVIè et XVIIè siècle. L’âge d’or paracelsien. Paracelse, 1493/1541, que l’on surnomme le père de la toxicologie, qualifiait la mumie de "plus noble des remèdes : le corps de l’homme". Ambroise Paré, chirurgien de Henri III, écrivait encore en 1582 que c’était “le premier et le dernier médicament de presque tous les praticiens” contre hémorragies et contusions. »
Il hocha la tête.
« L’usage officiel décline au XVIIIè siècle avec l’essor de la chimie moderne. Et au XIXè, l’ère victorienne déclare la chair humaine “impure”, ce qui met fin à la pratique, du moins dans les cercles respectables. Car elle persiste encore un temps dans le folklore ou l’ombre. »
Il regarda la classe d’un œil pétillant.
« Personne d’autre n’a de questions ? Ne soyez pas timides, je ne vais pas vous manger. »
Un étudiant osa lever la main.
- Monsieur… buvait-on aussi du sang ?
Le professeur prit un air faussement grave.
« Oui. Au XVIIè siècle, on vendait du sang de pendu à Londres. On pensait absorber ainsi sa force vitale, comme dans certains rites dionysiaques. C’était un produit très demandé juste après les exécutions publiques, vous imaginez l’ambiance. »
La sonnerie retentit alors.
Le professeur rangea ses notes et, se dirigeant vers la porte, lança d’un ton jovial :
« Le cours est terminé. Et je vous en prie… évitez de boire du sang, même pour vos examens. À demain. »
(PS : J'ai fait pas mal de recherches pour cette histoire. Tous les détails sont vrais)
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