Dans le monde moderne, où l'on confond souvent goûts personnels et jugement de valeur, il devient urgent de rétablir une distinction claire : celle entre l'expérience subjective et la qualité intrinsèque d'une œuvre. En particulier dans le domaine musical, l'idée selon laquelle "tout se vaut" a peu à peu miné notre capacité à reconnaître l'excellence. Cette subjectivité érigée en dogme, bien qu'issue d'une intention démocratique louable, finit par conduire à un nivellement par le bas.
Affirmer que toute appréciation musicale n'est qu'une question de goût revient à nier l'histoire de l'art, les principes de composition, la complexité harmonique, le raffinement de l'exécution et la portée spirituelle de certaines œuvres. Qu'un auditeur soit ému par une chanson populaire ou insensible à une symphonie de Beethoven est une donnée subjective. Mais ce ressenti personnel ne saurait effacer l'évidence : certaines œuvres sont objectivement plus riches, plus profondes, plus exigeantes que d'autres.
L'auditeur peut et doit avoir conscience que son expérience subjective est colorée par son histoire, ses habitudes, son contexte culturel. Il peut reconnaître qu'une œuvre le laisse froid tout en admettant qu'elle relève d'un haut niveau artistique. Cela suppose une forme d'humilité, mais aussi une volonté d'éducation : il ne s'agit pas de s'autoflageller pour ne pas aimer telle ou telle musique, mais de chercher à comprendre ce qui fait sa valeur, au-delà de son propre ressenti.
C'est là que l'éducation joue un rôle fondamental. Comment espérer faire grandir le jugement esthétique si l'on prive les enfants de l'accès aux grandes œuvres ? Si, au collège, on se contente de leur faire souffler maladroitement dans une flûte sans leur enseigner réellement la musique ? Si les professeurs n'ont même pas le droit de faire écouter Mozart, Bach ou Verdi à cause des droits d'auteur ? L'école devrait être un lieu de transmission de la beauté, pas de conformisme culturel.
Loin de rejeter la subjectivité, il faut lui redonner sa juste place : celle d'une porte d'entrée vers une compréhension plus large, plus honnête, plus exigeante. Goûter la musique ne devrait pas se limiter à "aimer" ou "ne pas aimer", mais à apprendre à discerner, à comparer, à apprécier. Le véritable plaisir naît souvent du dépassement : lorsqu'une œuvre que l'on trouvait obscure ou ennuyeuse se met soudain à résonner, à vibrer, parce qu'on a appris à l'écouter.
En art comme en toute chose, viser l'égalité des goûts, c'est renoncer à l'élévation. Et cette résignation n'est pas acceptable.
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