Le matin filtrait doucement à travers les volets mal fermés de la chambre de l’auberge. Alcibiade était déjà réveillé. Il n’avait pas dormi longtemps, mais suffisamment. Il était du genre à n’avoir jamais eu besoin de beaucoup de repos. L’habitude des bivouacs, des veilles. Des nuits trop courtes entre deux combats.
Ypoons entra sans frapper, les yeux rouges, la barbe en bataille, une chope de café noir à la main.
- Je me sens comme si j’avais été piétiné par un Slade Géant, grogna-t-il.
- C’est parce que t’as bu comme la Mère Cuby. Sans les glaçons.
- Mmm.
Il s’affala sur le fauteuil, but une gorgée, puis leva les yeux vers son vieil ami.
- Dis… La Guilde… Qu’est-ce qu’elle est devenue ?
Un silence. Pas long, mais dense.
- Tu veux vraiment savoir ?
Ypoons acquiesça lentement.
Alcibiade s’assit face à lui, mains croisées sur la table.
- Quand je suis parti, je l’ai confiée à Orge.
- Le môme ? Le grand costaud avec la cicatrice à la lèvre ?
- Celui-là. Il avait tout. La technique, les réflexes, la force brute. Meilleur que moi à l’épée, sans hésitation.
- Et ?
- Et il l’a tenue trois mois. Pas plus.
Ypoons écarquilla un sourcil.
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Ce qui se passe quand on confond puissance et leadership. Il savait se battre, mais il ne savait pas écouter. Il donnait des ordres comme on donne des coups. Il voulait des résultats, pas des hommes. Résultat : la Guilde s’est fissurée de l’intérieur. Deux missions ratées. Une embuscade. Une mutinerie. Et c’était fini.
Ypoons soupira.
- Il avait beau être plus fort que toi… il n’avait pas ton charisme ni ton sens du groupe.
- La force ne fait pas tout, dit Alcibiade en regardant par la fenêtre. Il faut savoir quand parler, quand se taire. Quand rassurer, quand frapper. Un chef, c’est celui qui passe le dernier à table, mais le premier à prendre les coups. Orge… lui, il voulait être parmi les meilleurs. Moi, j’étais le ciment.
- Et les autres ? Les anciens ?
- Éparpillés. Certains sont devenus mercenaires. D’autres se sont rangés. De temps en temps, j’en croise un. Un regard dans la foule, une poignée de main dans une ruelle, un souvenir au fond d’un verre. Et ils me disent tous la même chose : "T’étais un bon chef, Alcibiade. T’étais juste." Et ça… ça suffit à me faire tenir.
Ypoons baissa les yeux. Il traça un cercle invisible sur la table du bout du doigt.
- Tu sais… j’ai jamais vraiment compris à quel point cette Guilde comptait pour toi. J’ai toujours pensé que c’était juste un rôle, une mission.
- C’était ma Famille. La seule que j’avais choisie.
Un long silence. Pas triste. Pas lourd. Juste... plein.
Puis Ypoons souffla, un sourire amer au coin des lèvres :
- T’as jamais pensé à la reconstruire ?
Alcibiade ne répondit pas tout de suite. Il regarda dehors, vers la rue qui s’éveillait. Des enfants couraient derrière un petit mouflon. Une femme ouvrait un magasin. Un mendiant chantait faux au milieu de la place.
- J’y ai pensé, dit-il enfin. Mais c’est pas le moment. Pas encore.
Ypoons se redressa, vida le fond de sa tasse et dit en se levant :
- Alors le jour où c’est le moment… tu sais où me trouver.
Et il sortit, la démarche déjà plus alerte.
(moi croisant Orge des années après qu'il est fait crasher no-soucy puis vendu la Famille et finalement en faire une autre)
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